L’ASTROLIMPIDE
L’astrolimpide évite la lumière brutale du soleil : elle est indiscrète, elle manque de tact, sa clarté fait mal. On a toujours en soi bien des choses qui voudraient attendre un moment favorable, mais qui se trouvent arrachées sans ménagement, étalées, exposées à la lumière et à la chaleur au point d’en être méconnaissables : de qui viennent-elles donc ? De celui-ci ? De celui-là ? De tous à la fois ?
L’astrolimpide s’en tient à des cristaux qu’on ne peut pas ouvrir. Même ceux qui sont transparents sont assurés de leur dureté, et, quoi qu’on y voie, on n’est pas sûr de l’avoir. L’astrolimpide veut des choses fermées sur elles-mêmes, sur lesquelles tombe une lumière faible et éprouvée. Venue des astres, cette lumière a sans doute su trouver son chemin jusqu’à elle, mais sans rien savoir d’elle avant de la trouver, et, elle-même, dans son obscurité, est longtemps restée aux aguets jusqu’à ce qu’elle arrive, incertaine et obscure elle aussi.
Une seule fois dans sa vie, elle a regardé dans un télescope, et comme cela lui a fait honte ! Cela lui a fait l’impression de se précipiter sans pudeur au-devant d’un astre et de le forcer à briller pour elle plus fort qu’il ne l’aurait voulu. Elle n’a pas oublié à quel point il était tout à coup solitaire, séparé des autres, ce qui lui donnait son silence et son équilibre. Dans tout le firmament, c’est lui qu’elle s’était spécialement choisi, son œil, d’habitude lent et discret, le fixait ardemment, tout comme, dans la journée, le soleil la fixait elle-même, elle avait peur qu’il ne soit maintenant détruit et perdu pour le firmament. Elle s’arracha à sa contemplation en maudissant l’instrument, elle fit pénitence à sa manière pendant des semaines, en évitant de regarder cet astre maudit. Quand elle se risqua enfin à le chercher, et le trouva, elle en fut si heureuse qu’elle acheta l’instrument de sa honte, le brisa, et en éparpilla dans la nuit les pièces et fragments.
L’astrolimpide respire quand le soleil n’est plus là, et elle fait le vœu qu’il ne revienne plus. Elle passe ses journées dans des endroits sombres. Elle travaille uniquement pour faire passer les journées. Sa peau est pure comme la lumière du soleil. Mais elle ne le sait pas, car elle ne se voit pas. Elle n’a jamais eu une seule pensée pour elle-même. Son seul miroir est la nuit lumineuse, et il consiste en tant de points qu’elle n’a pas d’unité. Où commence-t-elle ? Où finit-elle ? Peut-on être aussi claire et limpide sans s’être jamais vu ?
L’astrolimpide a des pensées qu’elle garde pour elle, elle a peur de les perdre dès qu’elle les exprimerait. Mais elles ne se figent pas en elle, elles croissent et décroissent, et quand elles sont redevenues si petites qu’elles lui échappent, elles renaissent dans d’autres êtres.